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L'âne d'or
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L'âne d'or
22 avril 2009

Apulée : "L'Ane d'or"

Et voici - enfin ! - l'éponyme de notre blog.

Au IIème s. après J.-C., Apulée, d'origine berbère, écrit un long roman qu'on pourrait qualifier de picaresque intitulé Les Métamorphoses ou L'Ane d'or. Je vous en livre un extrait.

Lucius, le héros-narrateur, fait route vers sa Thessalie natale. Arrivé à Hypate, la capitale, il est hébergé par un certain Milon. Il rséduit la servante, Photis. dont la maîtresse s'adonne à la magie et se métamorphose  la nuit en oiseau en s'enduisant d'un onguent. Lucius veut tenter l'expérience et Photis se fait son complice par amour.

Livre III, ch. XXIV-XXVII

Elle se glisse dans la chambre en tremblant et prend dans le coffret une petite boîte dont je m'empare et que je couvre de baisers, en la suppliant de faire que je puisse voler. En un clin d'oeil je me mets nu, et je plonge mes deux mains dans la boite. Je les remplis de pommade, et je me frotte de la tête aux pieds. Puis me voilà battant l'air de mes bras, pour imiter les mouvements d'un oiseau; mais de duvet point, de plumes pas davantage ; ce que j'ai de poil s'épaissit en un pelage qui me couvre tout le corps. Ma douce peau devient cuir. À mes pieds, à mes mains, les cinq doigts se confondent et s'enferment en un sabot ; du bas de l'échine il me sort une longue queue. Ma face s'allonge, ma bouche se fend, mes narines s'écartent, et mes lèvres deviennent pendantes ; mes oreilles se dressent dans une proportion démesurée. A cette funeste métamorphose je ne vois qu’une seule consolation : mes parties naturelles – bien que je ne pusse plus posséder Photis – ont pris du volume.

C'en est fait; j'ai beau considérer ma personne, je me vois âne au lieu d'oiseau. Je voulus me plaindre à Photis de ce qu’elle avait fait; mais déjà privé de l'action et de la parole humaine, je ne pus qu'étendre ma lèvre inférieure, et la regarder de côté, l'oeil humide, en lui adressant une muette prière. À peine m'eut-t-elle vu dans cet état, que, se meurtrissant le visage à deux mains, elle s'écria: « Malheureuse, je suis perdue ! Je me suis tant pressée, j'étais si troublée, je me suis trompée ... La ressemblance des boîtes... J'ai fait une méprise. Mais, par bonheur, il y a un remède assez simple à cette métamorphose. Tu n'as qu'à mâcher des roses pour sortir de ce corps d'âne, et tu reviendras aussitôt dans celle de mon Lucius. Ah, si hier au soir j’en avais préparé comme d’habitude quelque guirlande ! Tu n'aurais pas même à subir le retard de cette nuit. Mais dès le point du jour, je t’apporterai bien vite le remède. »

Telles étaient ses lamentations. Quant à moi, je me trouvais âne bel et bien, et de Lucius devenu bête de somme. Mais je n'en continuais pas moins à raisonner comme un être humain. Je délibérai longtemps à part moi si je ne devais pas tuer cette exécrable femelle, en lui expédiant force coups de pieds et en la déchirant à belles dents. Mais passé ce moment d’égarement, une réflexion me ramena à la raison : Photis châtiée mais morte, toute chance de salut pour moi s'anéantissait avec elle. La tête basse et tremblante, je ravalai pour un temps mon affront; et me soumettant à ma cruelle situation, j'allai prendre place à l'écurie près de mon propre cheval, ma fidèle monture. J'y trouvai aussi un autre âne appartenant à mon ci-devant hôte Milon. Je me disais : « S'il est chez les êtres privés de la parole un lien sacré instinctif et muet, ce cheval doit me reconnaître et se sentir ému de compassion; il va m'accorder l’hospitalité, m’offrir une place et la provende. Mais ô Jupiter Hospitalier ! ô divinités saintes, protectrices de la bonne foi ! Cette noble monture se donne le mot avec l'autre âne; tous deux s'entendent aussitôt pour consommer ma perte. Craignant pour leur portion, dès qu’ils me voient approcher de la mangeoire, oreilles couchées, ils me harcèlent de coups de sabots furieux et acharnés Je me vois repoussé loin de l'orge que de mes propres mains, j'avais étalée la veille au soir devant ce monstre d'ingratitude domestique.

Ainsi maltraité, force me fut de faire bande à part, et je me retirai dans un coin de l'écurie. Je méditais l'impudence de mes deux camarades et ruminais la vengeance que je tirerais le lendemain de mon coquin de cheval, quand par la vertu des roses je serais redevenu Lucius, quand j'aperçois, à peu près à mi-hauteur du pilier central qui supportait la voûte de l'écurie, une niche où se trouvait l'image de la déesse Épone, soigneusement ornée de guirlandes de roses encore fraîches. En reconnaissant enfin le remède à mes maux, je me prends à espérer. Tendant le plus haut possible mes pattes de devant, je me dresse, et cou tendu, lèvres allongées à l’extrême, je fais tous mes efforts pour atteindre les guirlandes. Mais le sort s’acharne. Tandis que je m'évertue ainsi, l’esclave que j’avais chaque jour chargé de panser mon cheval s'aperçoit de ma manœuvre. Il bondit, furieux : « Jusqu’à quand faudra-t-il supporter ce porte-choux, s’écrie-t-il. A l’instant il en voulait au manger de nos bêtes, maintenant le voilà qui s'en prend aux images des dieux ! Mais moi, cet animal sacrilège, je vais te l’éreinter; qu’il n’en sortira qu’exténué et boiteux. » Il se met sur le champ en quête de quelque expédient et il tombe sur un fagot qui se trouvait là par hasard. Il y choisit un bâton feuillu plus gros que tous les autres et il n’aurait pas cessé de sitôt d’en labourer ma pauvre échine. Mais il y eut un  grand vacarme et un énorme fracas : c’est la porte de la maison qu’on ébranle, la clameur du voisinage qui crie « Aux voleurs ! » Terrorisé; mon bourreau s'enfuit.

Il faudra arriver au douzième et dernier livre pour que l'âne Lucius, qui ira d'espoirs déçus en déceptions cruelles et tombera de Charybde en Scylla, puisse enfin se mettre une rose sous la dent et recouvrer son apparence première.
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Texte intégral

  • en latin : http://www.intratext.com/IXT/LAT0533/_IDX005.HTM
  • en français : http://remacle.org/bloodwolf/apulee/metamorphoses1.htm
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